Approche des Vomissements et de la Diarrhée Chroniques du Chat
World Small Animal Veterinary Association World Congress Proceedings, 2010
Patrick Lecoindre, Dr.med.vet., DECVIM-CA
St Priest, France

Lire la traduction anglaise: Approach of Chronic Vomiting and Diarrhea in Cats

Introduction: "Chat Vomisseur, Chat Diarrheique" Un Syndrome Digestif

Les vomissements et diarrhées sont de loin les manifestations les plus fréquentes d'une atteinte du tractus digestif chez le chat.1 Toutefois si ces symptômes sont provoqués dans la majorité des cas par une affection du tractus digestif, ils peuvent apparaitre lors de maladies extradigestives (cholangites, glomérulonéphrites membraneuses ou néphrites interstitielles, pancréatites, hyperthyroïdie, diabète...) d'où la nécessité d'une démarche diagnostique rigoureuse.

Cette conférence a pour objectif de donner les grandes lignes de l'attitude diagnostique du praticien face à un syndrome digestif chronique chez le chat. Des exemples cliniques illustreront cette démarche.

Étiologie du Syndrome Digestif du Chat

Les gastrites aigues du chat, les obstructions digestives sont souvent associées à l'apparition brutale de vomissements alors que les gastrites chroniques ou les maladies inflammatoires intestinales sont caractérisées par des vomissements épisodiques apparaissant souvent en crises alternant avec des périodes de rémission complète. Des vomissements alimentaires retardés par rapport à la prise d'aliments caractérisent des anomalies de motilité gastrique ou un obstacle à la vidange de l'estomac (sténose pylorique, tumeur, hypomotilité gastrique idiopathique ou secondaire). Les causes d'apparition de diarrhée chronique chez le chat sont nombreuses. L'affection responsable peut être spécifiquement digestive (localisée à l'intestin grêle et/ou au colon), mais elle peut être aussi extradigestive (métabolique, endocrinienne, neurologique, infectieuse). Les Maladies Inflammatoires Chroniques du tractus digestif sont une cause principale d'apparition de troubles digestifs chez le chat.2,3,4,7 Toutefois ces MICI s'intègrent souvent dans un syndrome complexe pouvant associer une pancréatite, une cholangite et une MICI.7

Démarche Diagnostique

Première Étape

Anamnèse, Commémoratifs

Cette première étape (recueil des commémoratifs, anamnèse) de la démarche diagnostique face à un chat présentant un syndrome digestif chronique est fondamentale bien que souvent délicate chez le chat en raison d'habitudes de vie particulières et différentes du chien. Elle consiste à obtenir un maximum de renseignements par l'interrogatoire du propriétaire. Celui-ci devra porter plus généralement sur les habitudes alimentaires de l'animal, sur son mode de vie et son environnement, sur la prise éventuelle de médicaments ou le contact avec d'autres animaux.

Plus spécifiquement on s'attardera à rechercher certaines caractéristiques des vomissements, nature des vomitas, fréquence, délai de survenue par rapport à l'ingestion d'aliments. Le chat "vomisseur chronique" peut présenter d'autres symptômes: dysorexie, anorexie, amaigrissement, polydypsie. Enfin il sera important de bien différencier les vomissements de régurgitations. Chez le chat le vomissement est souvent précédé de nausées prodromiques caractérisées par une salivation et des efforts d'expulsion souvent très violents.

Le chat cache en général ses selles et il est souvent difficile pour le propriétaire de confirmer l'existence d'une diarrhée et de décrire l'aspect des selles de son animal. Très souvent le chat atteint de diarrhée chronique sera amené à la consultation pour d'autres anomalies qui souvent accompagnent ou résultent de la diarrhée tel qu'une inactivité, un amaigrissement, une dysorexie, une crise de vomissements. Une souillure anormale des poils du périnée en particulier chez les chats à poils longs doit attirer l'attention du médecin. Une hospitalisation de courte durée sera souvent la meilleure solution pour confirmer une diarrhée chez le chat et recueillir des renseignements précieux concernant l'aspect des selles (présence de sang, de mucus) ou observer des signes associés à la défécation (épreintes, ténesmes). Il est plus difficile toutefois de différencier chez le chat comme chez le chien une diarrhée d'origine colique d'une diarrhée de l'intestin grêle.4 En effet très souvent les affections inflammatoires de l'intestin sont diffuses et caractérisées par l'apparition d'une diarrhée ayant plutôt les caractères d'une diarrhée du grêle: profuse, liquide, d'une fréquence normale voire légèrement augmentée. Dans certains cas plus rares d'atteinte localisée au côlon on retrouvera les symptômes classiques du syndrome colique (émission de matières afécales, épreintes, ténesmes, augmentation de la fréquence d'émission). Une étude chez 51 chats atteints de MICI a montré qu'il existe probablement une sous estimation des colopathies félines en raison du manque de spécificité des signes cliniques par rapport à la localisation de la maladie.4

On observe souvent chez ces chats à diarrhée chronique des modifications d'appétit allant de la polyphagie à l'anorexie lors des épisodes aigus. Enfin, l'apparition d'une diarrhée chronique chez le chat est souvent l'aboutissement d'une longue période de troubles digestifs chroniques peu spécifiques et il est nécessaire de questionner le propriétaire sur des antécédents éventuels de périodes de vomissements chroniques, de phase de constipation alternant souvent avec l'émission de selles anormales plus molles.4

Examen Clinique

Un examen clinique complet est important car il peut renseigner sur la nature, la sévérité et le siège du trouble digestif même si cette localisation est plus délicate chez le chat que chez le chien. Il permettra également d'évaluer les répercussions sur l'organisme de ces désordres digestifs, ou de mettre en évidence des signes orientant vers une affection extradigestive. Cette évaluation clinique du malade est importante car conditionnera le choix des examens complémentaires et l'attitude plus ou moins invasive du clinicien.

On pourra observer une fièvre, un amaigrissement, une déshydratation, une pâleur anormale des muqueuses ou un ictère, une séborrhée, dans de très rares cas chez le chat des oedèmes.

Une proscidence de la 3ème paupière est souvent associée à des troubles digestifs chez le chat et plus particulièrement à une diarrhée. Ce signe peut persister plusieurs semaines voire plusieurs mois même pendant les phases apparentes de rémission de la maladie.

Cet examen clinique doit inclure un examen attentif de la gueule de l'animal à la recherche d'un corps étranger filiforme et une inspection de la muqueuse palatine à la recherche d'un ictère débutant.

La région thyroïdienne doit systématiquement être explorée chez le vieux chat. Une palpation abdominale peut révéler dans certains cas une rigidité très importante de l'intestin liée à un épaississement pariétal souvent très intense mais non spécifique. Cette palpation permettra d'apprécier une éventuelle hypertrophie des ganglions mésentériques, une hépatomégalie, une modification de taille et de forme des reins...

Biologie

Un profil hématologique peut indiquer une anémie une leucocytose ou une leucopénie, une éosinophilie (syndrome hyper-éosinophilique, gastroentérites éosinophiliques). Un bilan biochimique de dépistage (urée, créatinine, ALT, PAL, GGT, glycémie, rapport Alb/globulines, FeLV, FIV) est important pour éliminer les causes extradigestives (affection hépatique ou rénale, diabète sucré, rétroviroses...) pouvant entrainer des troubles digestifs chroniques.

Un dosage de la Thyroxinémie basale est essentiel surtout chez le chat de plus de 7 ans. L'hyperthyroïdie est responsable dans 50% des cas de l'apparition de troubles digestifs chroniques.

Dans cette première approche, il est très important d'exclure la présence de parasites intestinaux. L'excrétion fécale d'œufs ou de kystes parasitaires n'est pas continue, donc une seule analyse parasitologique négative des selles ne permet pas d'exclure l'infestation parasitaire intestinale. En outre, plusieurs protozoaires intestinaux sont difficiles à détecter (par exemple les Giardia, pour lesquels le test ELISA est plus sensible que les frottis directs ou la flottation des selles). Seul un résultat négatif sur 3 échantillons de selles successifs permet de confirmer l'absence de parasites intestinaux. Un essai thérapeutique au moyen d'un anthelminthique à large spectre pour éliminer les parasites intestinaux est une alternative pratique valable (par ex. fenbendazole 50 mg/kg par voie orale tous les jours pendant 5 jours).7

Un examen bactériologique des selles est malheureusement peu enrichissant. Quelques chats peuvent présenter une diarrhée à salmonelles ou à Campylobacter mais l'évolution est plus souvent selon un mode aigu.

Tritrichomonas fœtus8

L'infection à Tritrichomonas fœtus est une affection émergente chez le chat particulièrement dans les refuges ou élevages où la densité de population est élevée. Le jeune chat, le chat de race sont plus susceptibles de développer cette infection responsable de diarrhées chroniques de type côlon (présence de mucus, de sang frais, ténesmes, incontinence fécale) bien que certains chats restent asymptomatiques. L'examen microscopique direct de selles fraiches (recherche de trophozoïtes), la mise en culture de selles (technique In Pouch), une PCR sur un prélèvement de selles (94% de sensibilité), sont les principales techniques diagnostiques de cette infection.

Problèmes d'Alimentation

Lorsqu'une parasitose a été écartée, les problèmes alimentaires sont probablement la cause la plus fréquente de troubles digestifs chroniques chez le chat. Une étude portant sur 55 chats néo-zélandais a démontré que 27 chats (49%) affectés de diarrhée et vomissements chroniques ont répondu dans un délai de 5-7 jours à une alimentation hypoallergénique.9 Il est donc fortement recommandé d'engager une modification de l'alimentation avant d'envisager des procédures diagnostiques plus invasives.

Seconde Étape

Chez le chat présentant des troubles digestifs chroniques associés à des signes d'atteinte systémique (abattement, anorexie, amaigrissement, ascite) et ou n'ayant pas répondu à une modification de la diététique et/ou à un traitement symptomatique (fenbendazole par expl), il est nécessaire d'entreprendre des examens plus sophistiqués.

Biologie

Contrairement au chien, nous ne disposons pas en France pour l'instant de test biologique fiable pour explorer une malassimilation (test fTLI,). Ce test est toutefois disponible aux USA et les prélèvements peuvent être pris en charge par plusieurs laboratoires français. L'insuffisance pancréatique exocrine est toutefois plus rare chez le chat que chez le chien et probablement est plus fréquemment la conséquence d'une altération fonctionnelle progressive du pancréas lors de processus inflammatoires chroniques. Elle devra être suspectée chez le vieux chat à syndrome de malassimilation. Une hypocobalaminémie est probablement responsable chez le chat de la persistance de troubles digestifs et de diarrhées en particulier et doit être recherchée systématiquement.14 Le test fPLI est un radio-immuno-essais (RIA) développé et validé pour mesurer l'immunoréactivité de la lipase spécifique du pancréas. Le test Spec fPL est la version ELISA du test fPLI avec une corrélation analytique avec le dosage RIA excellente. La puissance diagnostique de ces tests en terme de sensibilité et de spécificité fait l'objet d'études à ce jour non publiées mais les premiers résultats montrent un intérêt certain de ces nouveaux tests dans le diagnostic des pancréatites félines. Dans une série personnelle de 47 chats présentant des troubles digestifs chroniques, 23% avaient une specfPL positive suggérant l'existence d'une pancréatite.

Une recherche PIF doit être de plus en plus systématique en raison de l'apparition de plus en plus fréquente d'entérites granulomateuses chroniques liées à ce virus et responsable de troubles digestifs chroniques.

Imagerie5,7

La radiographie est importante lors de suspicion d'obstructions partielles, d'intussuception... L'échographie abdominale est le meilleur moyen de confirmer une masse intra-abdominale, un épanchement, des maladies inflammatoires pariétales sévères du tractus digestif, des signes de cholestase intra/extrahépatique. Des cytoponctions de ganglions, de masse, du foie ou de la vésicule biliaire pourront être envisagées.

Toutefois, ces examens non invasifs peuvent ne pas permettre un diagnostic définitif et il sera nécessaire d'avoir recours à des techniques plus invasives pour réaliser des biopsies étagées du tractus digestif en vue d'un diagnostic histologique.

Troisième Étape: La Biopsie Digestive

Le choix de la technique de biopsie (endoscopique ou laparoscopique) sera dépendant du caractère diffus ou localisé de la maladie infiltrative digestive, d'une modification péjorative de l'échostructure pariétale digestive, de la possibilité d'une atteinte simultanée de plusieurs organes (triade MICI, Pancréatite, Cholangite), de l'état clinique de l'animal.6,11,13 Il est conseillé chez le chat de réaliser des biopsies digestives étagées du tractus digestif en raison du manque de spécificité des signes digestifs et de la difficulté de localiser la maladie digestive.4

Un nouveau schéma de Grading a été dernièrement proposé par le groupe de standardisation des maladies gastrointestinales de la WSAVA dans l'espoir d'uniformiser la lecture des coupes histologiques de prélèvements gastro-intestinaux10,11,12 et devrait permettre une approche diagnostique plus fiable de ces maladies inflammatoires chroniques du tractus digestif responsables de nombreux cas de vomissements et/ou de diarrhée chroniques.

References

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13. Waly NE, Gruffydd-Jones TJ, Stokes CR, et al. Immunohistochemical diagnosis of alimentary lymphomas and severe intestinal inflammation in cats. J Comp Pathol 2005; 133: 253-260.

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Patrick Lecoindre, Dr. med. vet., DECVIM-CA
St Priest, France


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