Les Entéropathies Exsudatives
World Small Animal Veterinary Association World Congress Proceedings, 2010
Patrick Lecoindre, Dr.med.vet., DECVIM-CA
St Priest, France

(traduction anglaise en cours)

Introduction

Les entéropathies exsudatives ou entéropathies avec pertes de protéines désignent un syndrome clinique associant des symptômes digestifs et une fuite de protéines d'origine digestive. Elles peuvent être la conséquence de maladies aigues du tractus digestif comme une entérite virale, une gastroentérite hémorragique ou une intussuception intestinale mais sont le plus fréquemment la conséquence d'affections intestinales sévères évoluant selon un mode chronique. Les lymphangiectasies congénitales ou acquises, le lymphome digestif, les maladies inflammatoires chroniques intestinales, les infections fongiques dans certaines régions du globe sont les principales causes de fuites protéiques d'origine digestive.5 Le chien semble plus fréquemment atteint que le chat.

Physiopathologie des Entéropathies Exsudatives

A l'état physiologique, les protéines présentes dans la lumière intestinale ont une origine exogène alimentaire ou endogène provenant des sécrétions digestives, de la desquamation cellulaire et des protéines plasmatiques sécrétées ou exsudées au pôle apical des villosités. Les pertes protéiques physiologiques dans la lumière intestinale sont difficiles à évaluer. Elles représenteraient moins de 2% de la masse plasmatique. Bien qu'il existe probablement une association de plusieurs mécanismes d'exsudation anormale des protéines, on peut distinguer par analogie à ce qui est décrit chez l'homme des gastro-entéropathies exsudatives avec exsudation de liquide d'origine vasculaire et interstitielle et des gastro-entéropathies exsudatives d'origine lymphatique.

Le mécanisme de l'exsudation est facile à comprendre lorsqu'il existe des érosions ou des ulcérations multiples ou plus généralement une perte d'intégrité de la barrière muqueuse épithéliale. Ce type de lésions se rencontre lors de l'évolution d'entérocolite grave (entérocolite idiopathique, colites ulcératives). L'estomac peut également participer à ce processus d'exsudation lors d'ulcérations importantes, le plus souvent chez l'animal d'origine néoplasique. Les pertes d'origine lymphatique sont mieux connues chez l'animal. Elles résultent d'un dysfonctionnement du système lymphatique intestinal et/ou d'une gêne au drainage de la lymphe (lymphangiectasies...). L'obstacle à son écoulement provoque une dilatation et une hyperpression des vaisseaux lymphatiques entrainant une exsudation de la lymphe riche en protéines dans la lumière intestinale par extravasation ou rupture de ces vaisseaux.

Ces différents phénomènes exsudatifs ont pour conséquences une perte simultanée d'albumine et de globulines ainsi que de lymphocytes et de chylomicrons lors d'exsudation d'origine lymphatique. Les pertes d'albumine entrainent une diminution de la pression oncotique génératrice d'une transsudation liquidienne à partir des capillaires et de l'apparition d'oedèmes et d'épanchements. Il est important toutefois de noter que certaines entéropathies exsudatives peuvent être associées à une hypo, une normo ou une hyper globulinémie et que la pan-hypoprotéinémie n'est pas systématique et pathognomonique des EE. La déperdition des autres protéines plasmatiques (globulines, fibrinogène, facteurs de coagulation (antithrombine III), lipoprotéines...) n'est généralement pas assez importante pour entrainer un trouble fonctionnel significatif ou des manifestations cliniques. Toutefois certains auteurs pensent que la perte d'antithrombine III peut prédisposer aux thromboembolies pulmonaires au même titre que ce qui est classiquement décrit lors de syndrome néphrotique.6

Enfin, il n'est pas rare d'observer dans ces gastro-entéropathies exsudatives, des troubles de l'assimilation aggravant l'hypoalbuminémie et une stéatorrhée consécutive à une malabsorption des graisses.

Approche Diagnostique

Classiquement, le syndrome entéropathie exsudative associe une diarrhée de type intestin grêle très profuse, un amaigrissement rapide et une hypoalbuminémie. Dans notre étude, l'albuminémie est inférieure à 15gr/l dans 65% des cas (22/34).5 Les yorkshires présentaient dans 4 cas sur 6 une albuminémie inférieure à 7gr/l. Trois de ces chiens présentaient une ascite due à l'effondrement de l'albuminémie sans signes digestifs. Une attention plus particulière doit être portée aux chiens de races prédisposées comme le Rottweiler ou le Yorkshire qui présentent une hypoalbuminémie de découverte fortuite lors de bilan de santé.5

Lorsqu'un animal présente une hypoalbuminémie inférieure à 20gr/l, 3 causes doivent être explorées: une néphropathie exsudative, une insuffisance hépatique, une EE. Une analyse d'urine et un RPCU, un dosage des acides biliaires doivent permettre de confirmer l'origine digestive de la perte d'albumine. Si une panhypoprotéinémie est plus souvent observée lors d'EE, elle peut également être relevée dans certaines maladies rénales ou hépatiques et son interprétation doit toujours être confrontée aux autres examens spécifiques. Une hypocholestérolémie suggère une EE ou une insuffisance hépatique, alors qu'une hypercholestérolémie suggère une néphropathie exsudative.

La mesure de la clairance fécale de l'alpha-1-antitrypsine (alpha-1-protease inhibitor) doit être réservée aux cas difficiles car ce test est uniquement disponible dans un laboratoire américain et nécessite des directives précises quant à la manipulation et l'envoi des prélèvements de selles.

Les examens radiographiques et échographiques sont intéressants pour éliminer les causes extradigestives de l'entéropathie exsudative (insuffisance cardiaque, tumeur abdominale ou thoracique...). L'aspiration à l'aiguille fine des ganglions mésentériques lors d'adénopathie suspecte peut permettre une confirmation de lymphome. Une biopsie hépatique échoguidée sera indiquée lorsqu'une maladie hépatique est suspectée pouvant participer à l'hypoalbuminémie. Dans certains cas de lymphangiectasie grave, l'échographie montrera un épaississement important de la paroi intestinale et un aspect strié de la muqueuse qui semble assez spécifique d'après certains auteurs et les résultats de notre étude.1,4 L'échographie peut d'autre part révéler la présence d'épanchements très modérés indécelables cliniquement mais révélateurs d'une décompensation de l'hypoalbuminémie.5

L'augmentation diffuse de la granularité de la muqueuse a été la lésion endoscopique la plus courante de notre étude.5 Cette augmentation de la granularité dans les EE est due à un engorgement des lymphatiques centro-villositaires donnant un aspect de dilatation villositaire en "tapis" assez caractéristique et systématiquement associée à une lymphangiectasie sévère dans notre étude. Dans plusieurs cas de dilatation des cryptes sans lymphangiectasie, l'œdème du tissu interstitiel augmente cet aspect granuleux de la muqueuse intestinale, mais la dilatation villositaire est beaucoup moins visible que lors de lymphangiectasie et peut être associée à des images traduisant un état inflammatoire non spécifique. Dans plusieurs cas de cryptite, l'aspect macroscopique de la muqueuse duodénale est proche de la normale. La dilatation villositaire "en grain de riz" a un aspect très particulier mais est peu spécifique et semble plus fréquemment associé à une inflammation sévère et à une lymphangiectasie modérée et localisée. L'inconvénient majeur de l'endoscopie est le risque de ne pas recueillir des échantillons biopsiques d'assez bonne qualité.9,10 Cela dépend essentiellement de l'expérience de l'endoscopiste et de la qualité du matériel qu'il utilise. Dans notre étude, les biopsies endoscopiques ont permis d'identifier la maladie intestinale responsable de la fuite protéique dans 88% des cas.5 Cette sensibilité de l'endoscopie est décrite dans d'autres etudes.2 D'autre part, la visualisation des surfaces muqueuses permet de cibler les prélèvements biopsiques sur les zones anormales qui ne seront pas nécessairement visibles lors d'une laparotomie exploratrice.

Dans un contexte d'entéropathie exsudative, le diagnostic définitif est apporté par l'histologie d'échantillons tissulaires avec les limites inhérentes à l'interprétation de l'anatomopathologiste.3 Les biopsies doivent être nombreuses et profondes afin de pouvoir observer la couche des cryptes, qui peut quelquefois être la seule anomalie à l'origine d'une EE.7,8 Dans notre étude, dix à douze biopsies ont été réalisées dans chaque cas ce qui peut expliquer la fréquence importante dans cette étude de certaines lésions histologiques comme les cryptites.5 La laparotomie exploratrice peut avoir quelques avantages sur l'endoscopie car elle permet de visualiser l'intégralité du tube digestif et des lymphatiques intestinaux et mésentériques. Certaines lymphangiectasies sont probablement focales et n'intéressent pas tout le tube digestif pouvant dans certains cas être inaccessibles à l'endoscope ce qui expliquerait que dans 4 cas de notre étude les lésions histologiques n'ont pas permis d'expliquer la fuite protéique.

Dans notre série, il ressort des résultats de l'histologie des biopsies intestinales que la plupart des animaux atteints d'EE étaient atteints soit de lymphangiectasie soit d'une cryptite soit des deux lésions associées ce qui confirme les résultats de l'étude de Willard et al. (2009). Dans tous les cas une inflammation de type lympho-plasmocytaire est observée. Elle peut dans certains cas être très sévère (6 cas dans notre série) et expliquer la fuite de protéines comme décrit dans d'autres rapports8 en l'absence de lésions évidentes de lymphangiectasies ou de nécrose des cryptes. Il est également intéressant de noter dans cette étude que chez le Yorkshire les lésions dominantes étaient des lésions des cryptes très sévères dans 4 cas sur 5. C'est également dans ces cas que l'hypoalbuminémie est particulièrement prononcée (<à 7gr/l).

Etiologie

Les étiologies potentielles de la gastro-entéropathie exsudative sont très diverses. Chez le chien, il s'agit le plus souvent d'une fuite d'origine lymphatique.5

La Lymphangiectasie

C'est certainement la première cause d'EE chez le chien. Elle désigne une obstruction des vaisseaux lymphatiques qui conduit à une dilatation des chylifères centrovillositaires et du chorion. L'accumulation de chyle lymphatique provoque une ballonisation caractéristique des villosités qui se déchirent et entraîne une fuite du contenu lymphatique riche en protéines et chylomicrons dans la lumière intestinale. La lymphangiectasie peut être primaire et semble plus fréquente dans certaines races de chiens comme le Yorkshire, le Rottweiler ou le Soft-coated Wheaten terrier. Elle est très rare chez le chat. Dans certain cas sévères de Maladies infiltratives de l'intestin (MICI ou lymphome), l'infiltrat cellulaire et la fibrose réactionnelle peuvent entrainer une sub-occlusion des vaisseaux lymphatiques de la muqueuse et de la sous muqueuse de l'intestin grêle. Au cours de laparotomies exploratrices pratiquées sur des chiens atteints d'EE, on peut observer une dilatation des vaisseaux lymphatiques de la séreuse intestinale ainsi que plus rarement des lipogranulomes le long du bord mésentérique de l'intestin. L'origine de ces lipogranulomes est indéterminée mais résulte vraisemblablement d'une inflammation consécutive à une fuite de chyle lymphatique lorsque la pression augmente dans le système lymphatique. Ces lipogranulomes peuvent en retour aggraver les lymphangiectasies.

Les Cryptites

Plusieurs cas de dilatation, abcédation voire nécrose des cryptes intestinales ont été observés associés à une EE souvent severe.7,8 Il est difficile à ce jour de déterminer si ces maladies des cryptes intestinales représentent une entité pathologique ou si elles sont la conséquence non spécifique d'entéropathies chroniques. Dans notre étude ces lésions des cryptes semblent être une cause d'EE presque aussi importante que les lymphangiectasies chez le chien. Elles peuvent être associées mais pas systématiquement à une dilatation anormale des lymphatiques. L'inflammation de la muqueuse intestinale est toujours présente dans les cas observés de notre série.5

Autres Causes

Des hyperpressions veineuses (insuffisance cardiaque congestive ou péricardite constrictive) sont responsables d'une hyperpression hydrostatique lymphatique et peuvent entrainer une fuite protéique digestive.

Les infections fongiques (histoplasmose) sont fréquentes dans certaines régions des Ètats Unis (vallées fluviales du Mississipi, Floride, Missouri). Elles entrainent des colites sévères et une fuite protéique digestive. La Pythiose est une infection à oomycètes responsable de lésions gastro-intestinales et cutanées et dans quelques cas de fuites protéiques.

Les proliférations bactériennes sont une cause importante de fuites protéiques chez l'homme. Il est possible que chez le chien certains cas mal expliqués d'EE et répondant à une antibiothérapie soient la conséquence de dysmicrobisme intestinal.

Traitement

Une diététique est basée sur l'apport d'un régime pauvre en graisses qui a pour effet de diminuer le débit et la pression dans les vaisseaux lymphatiques, réduisant par conséquent les pertes protéiques. Il sera par ailleurs enrichi en protéines de haute digestibilité afin de diminuer la présence de nutriments non digérés dans le colon qui ont un fort pouvoir osmotique et qui, utilisés par les bactéries de la flore colique, aboutissent à la production de substances néfastes. Cette diététique est initialement débutée par une alimentation ménagère composée de fromage à faible pourcentage de matières grasses, (source protéique), associé à du riz, des pommes de terre ou des pâtes cuites (apport d'hydrates de carbone). Cette alimentation doit être supplémentée en vitamines liposolubles et en vitamine B12. Il existe à ce jour des aliments "type lowfat " qui sont à haute valeur énergétique et qui ne nécessitent pas de compléments alimentaires.

Corticothérapie et Drogues Immunosuppressives

Certaines EE graves particulièrement celles associées à des MICI sévères ou des maladies des cryptes répondent à une antibiothérapie (métronidazole, fluoroquinolones) associée à une thérapeutique immunodépressive (corticoïdes). La cyclosporine dans de nombreux cas traités par l'auteur semble permettre une réponse rapide et efficace à long terme. Un protocole thérapeutique est en cours de validation sur une série importante d'EE suivies à long terme.

References

1.  Allenspach K., Wieland B, Grone A, et al. Chronic enteropathies in dogs: evaluation of risk factors for negative outcome. J. Vet. Int. Med. 2007, 21: 700-708.

2.  Craven M, Simpson J, Ridyard A, et al. Canine inflammatory bowel disease: retrospective analysis of diagnosis and outcome in 80 cases (1995-2002). J. Small Anim. Pract. 2004, 45: 336-342.

3.  Day MJ, Bilzer T, Mansell J, et al. Histopathologic standards for the diagnosis of gastrointestinal inflammation in endoscopic biopsies from the dog and cat: A report from the World Small Animal Veterinary Association Gastrointestinal Standardization group. J. Comp. Path. 2008, 138: S1-S43.

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5.  Lecoindre P. Les entéropathies exsudatives d'origine non néoplasique du chien. Etude rétrospective de 34 cas. Schweiz. Arch. Tierheilk. (In Press).

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9.  Willard MD, Jergens AE, Duncan RB, et al. Interobserver variation among histopathologic evaluations of intestinal tissues from dogs and cats. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2002, 220: 1177-1182.

10. Willard M, Mansell J, Fosgate G, et al. Effect of sample quality on the sensitivity of endoscopic biopsy for detecting gastric and duodenal lesions in dogs and cats. J. Vet. Int. Med. 2008, 22: 1084-1089.

 

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Patrick Lecoindre, Dr. med. vet., DECVIM-CA
St Priest, France


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